L’hélice est lasse.
Il y a un truc tout con pour tester ses motivations de futur
marin itinérant c’est de prendre la mer au mois de décembre, si possible dans
un coin où les voileux préparent leurs
futures exploits devant une cheminée et
d’aller tâter de ces journées où tu appareilles au petit jour et accostes entre
chien et loup. Entre les deux, l’objet est donc d’enfiler les milles en se
caillant les miches et en croisant les doigts pour que les pontons du soir soient dotés du
minimum vital, en l’occurrence une alimentation électrique susceptible de te
procurer les quelques degrés te permettant de ne pas péter les plombs, au sens
propre comme au sens figuré, au bout de deux jours. Quand ton objectif c’est le
sud, la Mer du Nord constitue donc le laboratoire idéal. Je m’éloigne du sujet
mais fallait bien vous planter le contexte psychologique de cette petite
fortune de mer. Ce matin-là donc, en compagnie de mon pote Nez de Land, nous quittons Breskens avec
ce que je n’oserai appeler le lever du soleil, tellement il est pâlichon le
bougre. Au programme une journée de
moteur pour rejoindre notre dernière
étape de cette croisière de l’avant entamée une semaine plus tôt. Jusque-là, tout
baigne, nos vingt-sept chevaux aidés par
le courant font leur boulot et remontent à la moyenne sympathique de 7 nœuds, malgré une houle courte et hachée, un petit force 5 tout juste planté sur
notre route. Ce sera donc Nieuwpoort, que nous
atteignons en milieu d’après-midi, avec dans le collimateur la chaude
atmosphère houblonnée du club Housse. Les jetées avec sa cohorte de pêcheurs défilent pendant qu'on
affale pas vu qu’on a pas envoyé les voiles et on remonte le chenal couleur d’ambre
en glissant langoureusement sur un plan
d’eau enfin apaisé. Le moral est au beau fixe comme le temps sympathique que
nous annonce pour le lendemain notre site météo préféré . Un petit sud pour
parcourir la quinzaine de milles qui nous séparent du bercail, par grand soleil
et courant favorable, ça ressemblerait presque à une petite balade estivale qu’on
se dit le sourire aux lèvres sous nos trois couches de polaires.
C’est donc le cœur léger que nous venons tutoyer le ponton visiteur,
accostage paisible, de ceux que tu oublierais presque d’installer les
aussières, encore quelques mètres, un petit coup de marche arrière histoire de
glisser le cul de Chapil sur son bâbord
.
Les points de suspensions c’est pour avertir le lecteur qu’il
y a un « sauf que » et le « sauf que » c’est.....C'est que rien ne se
passe, ou plutôt si Chaphil continue d’avancer sur erre avec l’air de snober le
ponton. C’est pas drôle qu’on se dit, mais la plaisanterie jusque-là n’est pas
bien méchante, alors un petit tour et on recommencera
hé oui, sauf que
.. sauf que la
marche avant semble s’être mise aussi de la partie de ce que nous considérons désormais
comme une blague de mauvais goût, d’autant que le vent pendant ce temps nous
sifflote avec un air narquois un truc dans le style « maintenant démerdez vous, moi je fais
une pause ». Et c’est ce que l’on fait, nous démerder avec un petit bout
de génois qui sans que l’on ait vraiment compris le pourquoi du comment nous fait
doucement virer avant de nous ramener vers le ponton. Ouf, on a rien pigé au film, mais l’honneur est aussi sauf que notre balcon avant venant avec désinvolture de conter fleurette à un balcon arrière qui ne lui avait rien demande. Reste à identifier les
causes de ce bordel. Direction donc le moteur qui va devoir nous expliquer les
raisons de son caprice. Jean Marc plonge
dans les entrailles de la bête pendant que je reste à la manette. « Marche
avant
. rien
.. marche arrière
. Toujours rien
. La carène ne bouge pas d’un
iota, les aussières pendouillent langoureusement.
-
Et pourtant il tourne, que me lance Jean Marc
avec une mine à t’annoncer une nouvelle
dont tu te dis qu’elle ne va pas être bonne la nouvelle
-
Qu’est qui tourne ? que je demande en
subodorant la réponse
-
L’arbre
Et là, malgré la température qui nous gèlent les neurones
une évidence s’impose dans nos regards hébétés, une de ces évidences que t’as
pas envie de prononcer, qui t’arrache des merdes et des putains à peine susurrés
parce ce que t’as pas envie, mais alors vraiment pas envie de la croire cette
enfoirée d’évidence. Illico tu penses à
une solution mais illico ton comparse en frottant ses doigts gelés te ramène
à une seconde évidence sur le ton
silencieusement autoritaire de celui qui
en a vu des pas vertes et n’a pas envie d’en